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Malade à cause des pesticides, Jean-Baptiste est devenu paysan bio en Centre-Bretagne

Il y a 25 ans, Jean-Baptiste Le Provost, paysan à Plusquellec, dans le canton de Callac, en Centre-Bretagne, n’a pas dit à ses voisins agriculteurs qu’il était tombé malade à force d’épandre des pesticides dans ses champs.

Il a mis des années avant d’oser en parler. Des années avant d’oser dire pourquoi il a changé brutalement de modèle agricole.

Pourquoi, dans les années 90, il a rangé ses bidons de produits phytosanitaires pour se convertir au bio. Car, à l’époque, dans les campagnes, il n’aurait peut-être pas été compris par tous.

« Il fallait que la ferme devienne rentable »

Ça a commencé par des allergies, puis des problèmes respiratoires, des bouffées de chaleur, des palpitations… Jusqu’au jour où son médecin l’a clairement mis devant le fait accompli ! « Soit tu arrêtes avec tous ces produits, soit tu changes de métier ».

À ce moment-là, pour Jean-Baptiste, « tout s’écroule. Il fallait que je prenne une décision car ma santé était en jeu, mais j’ai mis un moment avant d’encaisser le coup ». L’agriculteur, qui mettait sa vie en danger en continuant dans la voie dans laquelle il était engagé, a pris « un virage à 360 degrés, car je voulais à tout prix rester paysan ».

Changer de système, mais pas de métier

La terre, les animaux, c’était toute sa vie. Ses racines aussi. Jean-Baptiste avait repris l’exploitation de ses parents en 1977. Une ferme familiale de 18 hectares, « classique » en polyculture élevage (lait et truies naisseurs).

Son épouse, Huguette, l’a rejoint sur l’exploitation en 1979. Ils se spécialisent dans l’élevage laitier et s’engagent dans un plan de modernisation agricole, qui leur permet d’obtenir des emprunts afin de développer leur exploitation.

Ils construisent une salle de traite, une stabulation, des silos pour les fourrages, une laiterie… « C’était le modèle classique à l’époque, le modèle préconisé par la chambre d’agriculture et les banques ».

Un modèle « intensif et performant »

Avec son épouse, ils vont acquérir des terres voisines et agrandir leur ferme, qui passe à 45 hectares. « Cela permettait justement d’envisager une production intensive et performante pour pouvoir aussi honorer les investissements qu’on réalisait. Il fallait que la ferme devienne rentable. On mettait des moyens de production performants en place, mais à côté il fallait que ça tourne ».

Dans ce modèle « classique », Jean-Baptiste donne du maïs-soja à ses vaches, avec « un tout petit peu de céréales, mais de moins en moins ». La part d’herbe diminue aussi.

« C’était une nouvelle ère avec le maïs. Tu le stockais dans ton silo et tu étais tranquille pour un moment. En complément, tu appelais la coop pour te faire livrer du soja ». Les bêtes pâturaient quand même à l’époque.

Au début des années 80, la ferme produisait 240 000 litres de lait, sur 45 hectares. Jean-Baptiste était dans les clous par rapport aux objectifs de rentabilité de son exploitation.

Un premier déclic en 1983

En 1983, la production de lait devient trop importante en Europe et les quotas vont faire leur apparition pour réguler les volumes dans les exploitations. Dans ce contexte, les agriculteurs, « toujours à la recherche de performances » continuent de vouloir optimiser leurs exploitations et Jean-Baptiste, comme beaucoup d’autres, vont s’organiser en groupements d’achats, pour s’approvisionner en produits phytosanitaires à des prix plus intéressants.

« Le glyphosate, c’était comme une marche en avant »

C’est un premier déclic pour lui. S’il ne se rendait pas forcément compte de la masse de produits phytos qu’il utilisait personnellement dans sa ferme, c’est en allant chercher sa commande avec une quarantaine d’autres agriculteurs du secteur, qu’il a pris conscience de la quantité de produits utilisés dans les campagnes à l’époque. « Il y avait un semi-remorque pour nous. Et encore, on s’approvisionnait auprès d’autres opérateurs locaux ». Il fallait du stock et des produits pour traiter les cultures, principalement de mars à juin, pour les céréales et le maïs notamment.

Les cultivateurs utilisaient alors deux ou trois grandes catégories de produits pour traiter les céréales, le maïs, ainsi qu’un insecticide du sol contre le taupin. Jusqu’à ce que le glyphosate fasse une arrivée presque triomphale dans la société, dans la deuxième moitié des années 80, aussi bien chez les agriculteurs pour traiter leurs champs, que chez les particuliers, pour l’entretien des jardins et des potagers.

C’est monté en puissance petit à petit, « insidieusement. Comme on était toujours à la recherche de performances, on était aussi à la recherche de la dernière recette qui sortait ».

« Une forme d’engrenage »

Le système dans lequel se trouvaient ces agriculteurs conventionnels exigeait qu’ils soient performants. Ils sont pris dans une forme d’engrenage. « La spirale s’est mise en place progressivement. Je n’avais pas l’impression d’utiliser plus de produits que ça, puisque c’est comme ça que tout le monde fonctionnait ».

Le glyphosate était présenté « comme une marche en avant, un produit révolutionnaire. C’était le progrès ». Les agriculteurs étaient les acteurs de cette « performance », il fallait « produire pour nourrir l’Europe ».

La nouvelle réforme de la PAC arrive en 1992, avec un changement de stratégie : les agriculteurs vont recevoir directement les aides. Dans ce nouveau système, ce sont surtout les cultures qui seront primées (le maïs, l’orge, le colza, le blé…), au détriment de l’herbe. « Ça a été un moyen d’orienter les productions agricoles ».

Les agriculteurs ont joué le jeu et la « course aux hectares était lancée » pour beaucoup. Plus ils avaient de terres, plus ils pouvaient cultiver et plus ils percevaient d’argent, résume Jean-Baptiste. « On est devenus compétiteurs, y compris entre nous, pour la course aux hectares. C’était un autre tournant. Qui disait plus de cultures, disait aussi plus de traitements… ».

Les performances étaient un maître mot dans les fermes, où les agriculteurs parlaient des rendements de leurs terres (quintaux à l’hectare) et de leurs bêtes (nombre de litres de lait par vache).

Sensible au discours d’André Pochon

C’est dans ce contexte que les exploitations agricoles vont s’agrandir. Et que Jean-Baptiste commence à être de plus en plus sensible au message d’un certain André Pochon, qui imagine un autre schéma de production, avec « des fermes autonomes qui sont moins dépendantes des partenaires extérieurs ».

André Pochon, fondateur du CEDAPA (Centre d’Etudes pour un Développement Agricole Plus Autonome) a été un pionnier et a apporté une autre vision de l’agriculture. « Sa formule phare, c’était la vache qui broute avec sa barre de coupe à l’avant et l’épandeur à l’arrière, pour épandre les déjections ». « Il a prouvé sur son exploitation qu’un système fourrager fondé sur la prairie à base de trèfle blanc était possible, sûr et sécurisant ».

C’est à ce moment aussi que le corps de Jean-Baptiste rejoint son esprit et commence à dire non à ce système, pourtant largement dominant dans nos campagnes.Jean-Baptiste Le Provost, paysan (retraité) à Plusquelllec, dans le canton de Callac.

Jean-Baptiste Le Provost, paysan (retraité) à Plusquelllec, dans le canton de Callac. (©L’Echo de l’Argoat)

En 1994, ses premiers ennuis de santé apparaissent. « Les premiers symptômes de 15 ans d’utilisation des pesticides et autres produits chimiques », résume-t-il. Il n’a jamais eu de souci de santé et, d’un coup, ces dérèglements apparaissent alors qu’il n’a que 40 ans. « Pourtant j’étais vigilant, je mettais des gants et un masque, je prenais une douche après ».

Jusqu’à son malaise en 1996. « J’ai rempli le pulvé, je suis allé au champ. J’ai commencé à transpirer, mon rythme cardiaque s’est emballé. J’ai pu m’arrêter chez un voisin, qui a appelé le médecin et je me suis écroulé ». Les corticoïdes avaient atteint leurs limites et il fallait prendre une décision.

Un virage à 360 degrés

Jean-Baptiste, diagnostiqué ultrasensible aux molécules chimiques, tourne la page, quitte l’agriculture conventionnelle pour devenir paysan bio. Mais ce revirement total, il l’opère en toute discrétion : « Tu ne vas pas le chanter partout que tu es intoxiqué ».

Pourquoi ne pas le dire à l’époque, alors que Jean-Baptiste est plus à l’aise aujourd’hui pour en parler ? « Les gens voyaient bien que j’avais réorienté mon système de production, avec plus de foin, davantage de pâturages, moins de maïs… Mais je ne donnais pas de détails. Il y a le regard des autres. Et tu as l’impression qu’il y a quelque chose de terrible qui te tombe dessus et qu’il n’y a que toi qui es concerné, alors tu préfères ne pas en parler. Tu te dis qu’il y a quelque chose que tu n’as pas bien fait et tu culpabilises… ».

 

C’est quand il a découvert le témoignage de Paul François, victime d’un grave accident en 2004 lors de la manipulation d’un herbicide maïs, qu’il a « pris la mesure. J’avais l’impression d’être tout seul avant et, dès lors, j’ai commencé à en parler ».

Au final, Jean-Baptiste a clairement le sentiment d’avoir fait le bon choix en opérant sa reconversion : « Je me suis réapproprié mon métier de paysan, à travers les choix et les orientations qui me convenaient. Je suis devenu acteur de mon métier ».

Il a trouvé un équilibre économique, mais aussi un équilibre de vie. Jean-Baptiste a aujourd’hui 65 ans. Il est à la retraite depuis six ans. Il a transmis la ferme à ses deux enfants. Il a été l’un des acteurs majeurs de Biolait (dont le slogan est La bio partout et pour tous), le groupement de collecte de lait biologique créé en Bretagne en 1994 et qui regroupe aujourd’hui environ 1 400 fermes en France.

Source : Actu

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