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Turing, le mathématicien de génie qui déchiffra les codes nazis

Si certains ont eu besoin de sortir les armes pour remporter les grands conflits de ce monde, cette histoire prouve qu’il suffit parfois d’une bonne dose de génie pou restaurer la paix. Parmi les innombrables documents mis à notre disposition pour nous informer sur les deux grandes guerres du siècle dernier, un exploit est longtemps passé inaperçu. Celui d’Alan Turing. Un brillant mathématicien ayant permis le déchiffrage des codes nazis lors de la Seconde Guerre mondiale, sauvant par la même occasion des millions de vies. Son parcours, mis à l’honneur dans le film Imitation Game (2014), est considéré aujourd’hui comme celui d’un héros.

Enigma, l’inviolable

Né en 1912 à Maida Vale, un quartier du centre de Londres, Alan Turing montre très rapidement les signes de son génie. Passionné par les sciences, au détriment des disciplines classiques telles que la littérature ou l’art, il parvient seulement à l’âge de 16 ans à comprendre les travaux publiés par Albert Einstein dans lesquels sont notamment remis en cause la mécanique céleste de Galilée et Newton. Huit ans plus tard, le voilà cette fois en pleine élaboration de ce qu’il appelle la « machine de Turing », une sorte d’ordinateur mécanique doté d’une mémoire. Après avoir décroché son doctorat en 1938, le mathématicien est rapidement repéré pour son cerveau extraordinaire. C’est ainsi qu’il est chargé par le renseignement britannique, avec une équipe, de casser le code Enigma au centre secret de décryptage de Bletchley Park.

Stuart C. Wilson/Getty Images

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Alan Turing (1912-1954).

Élaborée par les nazis, la machine Enigma était utilisée par les Allemands pour coder leurs messages radio transmis en morse sur les différents fronts. Réputée inviolable pour les moyens de l’époque, elle était d’autant plus efficace que ses utilisateurs modifiaient tous les jours, à minuit, les codes qu’ils employaient pour compliquer la tâche à celles et ceux qui tentaient de les déchiffrer. À l’origine, cette machine avait été créée dans les années 20 pour l’armée et le corps diplomatique. Déjà réputée inviolable à ce moment-là, Enigma est devenu le principal centre d’intérêt pour de nombreux professionnels. Notamment pour les analystes du Bureau de Renseignement polonais qui, sept ans avant la Seconde Guerre mondiale, ont réussi à craquer le code. C’est d’ailleurs sur leurs travaux qu’Alan Turing et ses compagnons se sont reposés pour réaliser l’exploit à leur tour.

 

Il faut dire que ce n’était pas une mince affaire. En plus du temps imparti qui ne leur facilitait pas la tâche, la petite équipe de Bletchley Park devait opérer un travail qui aurait pris des milliers d’années et aurait nécessité toute une armée de chercheurs. Pour pallier cet obstacle, Alan Turing a traqué les imprudences des codeurs nazis, repérant les groupes de mots répétés pour mieux les interpréter. C’est ainsi qu’en 1942, il crée une machine électromagnétique, qu’il appelle « Bombe », et qui, grâce à un calcul mathématique, automatise son travail d’analyse. Une tâche réalisée par 10 000 personnes est ainsi accomplie en un temps record. Cette avancée permet notamment aux analystes de déchiffrer les codes utilisés par la marine allemande et de chasser ou détruire leurs sous-marins situés dans l’Atlantique. Une opération qui, selon les historiens, a permis de sauver des millions de vies et de réduire la Seconde Guerre mondiale d’au moins deux ans.

Condamné pour son homosexualité

La quête au déchiffrement ne s’arrête pas là. En 1943, aux États-Unis, Alan Turing participe aux travaux ayant réussi à casser le code de chiffrement du téléscripteur de Fish, une machine qui servait aux communications du haut commandement allemand et de l’État Major d’Adolf Hitler. Grâce à ces recherches, il donne naissance en 1948 à l’ACE (Automatic Computing Engine), considéré comme le premier ordinateur moderne. Il se consacre ensuite à l’étude des algorithmes et des calculs informatiques en développant le test de Turing.

SSPL/Getty Images

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Première présentation de l’ordinateur appelé ACE (Automatic Computing Engine), en 1950.

Malgré ses prouesses, Alan Turing n’échappe pas au rejet et à l’homophobie. Au début des années 50, son homosexualité, qu’il n’a jamais cachée, lui vaut une condamnation pour « outrage aux bonnes mœurs », sans qu’il puisse se défendre. Deux possibilités s’offrent à lui : la prison ou un traitement de castration chimique. Il choisit la seconde et passe ainsi de nombreux mois à souffrir physiquement et psychologiquement des suites de cette technique. Le 7 juin 1954, il est retrouvé mort dans son lit à l’âge de 41 ans, empoisonné au cyanure. Si les autorités penchent pour un suicide, la mère d’Alan Turing émet des doutes. Celle-ci affirmant que son fils manipulait régulièrement la substance pour ses expériences, tout en précisant que son caractère peu ordonné a très bien pu mener à un terrible accident.

 

Quoi qu’il en soit, l’héritage d’Alan Turing est aujourd’hui colossal. Les moyens mis en place pour décrypter Enigma ont permis d’ouvrir la voie à l’informatique, dont il est considéré comme l’un des pères fondateurs. Son test de Turing, mis au point en mettant en rapport verbal deux humains et un ordinateur, appuie également l’hypothèse de l’intelligence artificielle. De quoi réaliser l’ampleur de ses travaux et de la place qu’ils tiennent dans nos vies. Pour leur faire honneur, un Nobel de l’informatique, le prix Turing, est d’ailleurs attribué chaque année. De quoi perpétuer un nom que l’Angleterre, et le reste du monde, ne doivent jamais oublier. En 2013, 61 ans après sa condamnation pour homosexualité, Alan Turing est officiellement pardonné par Élisabeth II. Une décision juste pour la reine, qui avait affirmé « qu’un pardon royal est digne de cet homme exceptionnel ».

Source: Vanity Fair

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