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André Markowicz, sur facebook

 

 

Paroles d’un assassin, paroles de ses soutiens
Quand j’ai vu cette bombe qui était tombée sur le théâtre de Marioupol — avec ces inscriptions ДЕТИ (enfants) bien visibles du ciel, — je me suis mis à regarder sur youtube tout ce que je pouvais trouver et je suis tombé, comme d’habitude, sur quelque chose à quoi je ne m'attendais pas du tout. Une interview (à qui ?) du chef du Bataillon Vostok, Alexandre Khodakovski. Le Bataillon Vostok est, à l’origine, une milice fait de d'anciens des unités spéciales ukrainiennes pro-russes, qui a joué un rôle décisif en 2014-2015 pendant la formation des républiques sécessionnistes du Donbass. Et pas que là : il est établi qu'Alexandre Khodakovski était, au minimum, très proche de ceux qui ont abattu le Boeing de Malaysia Airlines (le vol MH17) — abattu par un BUK de fabrication russe, et dont le crash a fait 298 morts. Cet homme, donc, est un assassin, et un assassin de la pire espèce.
Il donne une interview (à un journaliste russe, sans doute) et j'apprends qu’il se bat à Marioupol. Il explique que c’est dur. D’abord, dit-il, parce qu’ils ne sont pas assez nombreux. Il explique que, bon, oui, pour l’instant, ils « bloquent » les défenseurs de la ville, mais c’est tout. On leur met dans une situation « insupportable », on les coupe de leurs bases, et, poursuit-il, eux, les défenseurs, ils se défendent avec l'éneergie du désespoir, parce que, je cite « ils comprennent qu’ils n'auront droit à aucune pitié ». Mais les défenseurs contrôlent la ville. Du coup, dès qu’on avance, c’est, poursuit-il, « des pertes, des pertes et des pertes ». Maintenant « on modifie un peu notre tactique, on essaie de prendre en compte l'expérience de la deuxième campagne de Tchétchénie [quand les troupes russes ont totalement rasé la ville de Grozny], et donc, on travaille couche à couche (sic), [il veut dire, je suppose, immeuble à immeuble ou tranchée à tranchée]...» Il doit y avoir un moyen d'avoir des sous-titres en anglais (c’est une manipulation que je ne sais pas faire), — je ne vais pas transcrire tout ce qu’il dit. Mais voilà, il parle aussi des « camarades tchétchènes » qui sont avec lui, et qui, au lieu d’être employés comme ils devaient l’être, à des opérations de nettoyage, se retrouvent aussi en première ligne, mais ne savent pas du tout se battre, ne comprennent rien, et se font tuer les uns après les autres. Et il explique une chose : et chez les Tchétchènes et chez lui, au bataillon Vostok, ceux qui se battent, ce sont des gens mobilisés. Il confirme donc les rafles de jeunes hommes à Donetsk et à Lougansk, et aussi (je ne le savais pas) en Tchétchénie. Ces gens, non formés, sont, visiblement en l'espace de quelques jours, voire du jour au lendemain, envoyés se battre, sous peine de prison ou de mort, et se font massacrer.
Dès lors, cette bombe, on la comprend mieux : comme ils n'arrivent pas à prendre Marioupol, parce que ses défenseurs se défendent comme à Stalingrad, ils vont détruire, et détruire, et détruire, — juste pour détruire, pas pour obtenir un résultat. Juste pour terroriser, massacrer. Juste pour rien — même de leur point de vue d'assassins.
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Je viens d'écrire : « comme à Stalingrad ». Oui, c’est exactement ça qui se passe. Et ce sont les soi-disant « nazis ukrainiens » qui se défendent comme se défendaient les soldats de l'Armée rouge. Et les soldats russes (ici, des milices de soudards — dont la moitié, de l'aveu de leur chef, est totalement incompétente) qui prennent le rôle des Allemands. C’est un renversement dont on ne mesure pas, je crois, les conséquences, — pas seulement en terme militaires, mais, surtout, en termes d’image. « Nous perdons, en termes d’image, la guerre de l'information », explique aussi Khodakovski.
Au moment où j’écris, nous ne pouvons qu'imaginer l'ampleur du désastre qui s’est abattu sur l’Ukraine. Nous voyons les bombes, nous voyons la catastrophe humanitaire (quatre millions de réfugiés...), nous voyons les enfants et les femmes visés délibérément, comme en Tchétchénie, comme en Syrie, dans une guerre qui est devenue une guerre de position, une guerre d'écrasement. Mais aussi l'ampleur du désastre que ce désastre révélé sur l’état de la Russie. Et je ne parle pas ici de l'ampleur du désastre des sanctions : non, juste ce l’état réel de l’armée, et de la société.
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Je me dois d'ajouter quelque chose. — Comme vous l'aurez remarqué, depuis trois semaines, je ne parle plus que de l'Ukraine sur mon FB, ce « lieu sans lieu » dans lequel je tiens en ligne mon journal d’écrivain. Ces chroniques, vu le nombre d'échos que j’en ai, de demandes d'interviews etc, vu le nombre de likes, sont lues et diffusées plus que toutes les autres chroniques que je peux faire. Parmi les commentaires que je reçois, je vois beaucoup de gens que je ne connais pas, — qui arrivent soudain et se mettent à commenter pour m'injurier ou injurier mes autres lecteurs, et qui sont des soutiens de Poutine. On me demande de les bloquer. J’en bloque certains (ou certaines) quand la décence est dépassée. Mais je les garde sur mon mur, même si certains commentaires me révulsent. Le fait est que, si je les bloque, je ne peux plus regarder les profils. Et, vous savez, je me rends compte de l'ampleur du désastre, chez nous aussi (un désastre, ça va de soi, incomparable). — J’ai étudié une quarantaine de ces profils, depuis trois semaines, autant que je pouvais, c’est-à-dire autant qu’ils donnaient à voir sur leurs pages publiques.
À ma grande stupeur, 90% des soutiens de Poutine, sont antivax et un grand nombre (je ne risquerai pas un pourcentage) a soutenu les gilets jaunes. — Je ne dis pas que tous les gilets jaunes et tous les antivax sont poutiniens, qu’on me comprenne : je dis que presque tous les poutiniens qui viennent s'exprimer sur ma page sont antivax. Quel rapport entre la guerre en Ukraine et le vaccin contre le covid ?... Se dessine un portrait étrange de militants, généralement de gauche, mais d’une gauche qui, parfois, peut soutenir à la fois Mélenchon et Zemmour (et oui, et Dieu me garde de dire que tous les militants de Mélenchon sont comme ça... pas du tout !!), des gens très différents qui sont tous dominés par l'idée du complot mondial du libéralisme (des Etats-Unis, et, chez nous, de Macron). Un certain nombre de ces gens (moindre, mais disons 30 %) sont violemment haineux envers les homosexuels — et particulièrement les trans (accusant le régime ukrainien d’être un régime de « parades gay » — à l'instar de ce qu’a dit le patriarche Kirill). Du coup, pour eux, le chef des « anti-système », c’est Poutine.
On sait qu'Evgueni Prigojine (l'homme des basses œuvres, dans le monde entier, de Poutine) entretient une usine de trolls qui polluent les médias du monde entier. Et je crois que, oui, de temps en temps, certains de ses pseudopodes viennent, payés peu mais payés, également sur ma page. Mais l'écrasante majorité des gens qui viennent salir la page que vous lisez la salissent gratuitement. Et c’est encore plus atterrant.

‌Source: https://www.facebook.com/andre.markowicz

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