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Inflation : Les travailleurs doivent exiger des salaires plus élevés

Alors que l’inflation atteint des niveaux jamais vus depuis au moins dix ans, de nombreux partis de droite affirment – comme dans les années 1970 – que le problème réside dans la cupidité des travailleurs qui réclament des augmentations de salaire correspondant à l’inflation.

Si les travailleurs n’étaient pas en mesure d’exiger des salaires plus élevés, l’argument est que l’augmentation de l’inflation à laquelle nous assistons actuellement serait un pic ponctuel résultant de la hausse des prix de l’énergie et des problèmes de chaîne d’approvisionnement. Au lieu de cela, ils affirment que nous sommes au bord d’une « spirale salaires-prix » dans laquelle les travailleurs demandent des salaires plus élevés pour compenser la hausse des prix, qui à son tour fait augmenter l’inflation.

Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Andrew Bailey, s’est attiré des critiques la semaine dernière pour avoir semblé soutenir un tel argument lorsqu’il a plaidé en faveur de la modération salariale, exhortant les travailleurs britanniques à ne pas demander d’augmentations de salaire. Non seulement cette attitude était profondément hypocrite – Bailey gagne plus d’un demi-million de livres par an – mais elle était également absurde sur le plan économique, comme tous l’ont souligné, du directeur du très libéral IFS (Institute for Fiscal Studies), aux organisations syndicales.

Mais Bailey n’est pas le seul à défendre l’argument de la « spirale salaires-prix ». Les groupes de réflexion sur le marché libre et les organisations médiatiques soutiennent cette thèse depuis maintenant de nombreuses années . L’année dernière, le député travailliste Wes Streeting a cité des recherches de l’Adam Smith Institute suggérant que l’inflation était alimentée par une « spirale salaires-prix », et le Wall Street Journal a récemment adopté une ligne similaire.

Le Financial Times a adopté un point de vue plus nuancé, soulignant que les pressions salariales se sont « jusqu’à présent concentrées dans les secteurs souffrant de pénuries aiguës », tout en « stagnant » dans les autres secteurs. Mais le FT prévient que, « même si les salaires sont à la traîne par rapport aux prix, ils augmentent encore suffisamment vite pour maintenir l’inflation au-dessus de l’objectif. »

Ces arguments sont tous présentés dans le langage présumé neutre et objectif de l’économie académique, mais ils sont en fait hautement politiques. Lorsque les responsables politiques affirment que ce sont les travailleurs qui alimentent l’inflation, ils préparent le terrain pour des interventions qui obligent les travailleurs à payer pour cette inflation.

Il est évident que les salaires ne sont pas déterminés par des syndicalistes avides et militants qui poussent leurs patrons impuissants à accorder des augmentations de salaire qu’ils ne peuvent tout simplement pas se permettre. Une telle situation n’a jamais existé que dans l’imagination du capital, et elle ne correspond certainement pas aux faits actuels.

Une étude récente du Trades Union Congress (TUC) montre que les salaires réels ont chuté de 1,8 % par rapport à l’année dernière – la pire baisse depuis huit ans. Et n’oubliez pas que cette baisse survient après une décennie de stagnation des salaires qui a suivi la crise financière.

Les travailleurs sont pris en étau entre la stagnation des salaires et la hausse des prix. Le résultat est qu’un grand nombre des personnes les plus pauvres de notre société ont du mal à s’en sortir. Quelques jours seulement après avoir écrit que les augmentations de salaires pourraient nuire à la reprise, le FT a publié un article indiquant que près de 5 millions de personnes au Royaume-Uni ont actuellement du mal à se nourrir en raison de la hausse du coût de la vie.

Ces pressions sont moins fortes pour les ménages plus aisés pour un certain nombre de raisons. Premièrement, les travailleurs qualifiés ont un plus grand pouvoir de négociation et sont souvent en mesure de réclamer des augmentations de salaire là où les cols bleus ne le peuvent pas. Deuxièmement, ils seront moins touchés par la hausse des prix des denrées alimentaires et des carburants, car ils consacrent une plus faible proportion de leurs revenus à ces produits.

Enfin, ces ménages disposeront d’une certaine richesse, souvent importante. Une grande partie de ce patrimoine sera investie dans des actifs tels que des biens immobiliers et des actions dont la valeur a augmenté au cours de la pandémie, presque entièrement grâce aux programmes d’achat d’actifs des banques centrales.

Bien que la valeur de cette richesse puisse être quelque peu érodée par la hausse de l’inflation, les banques centrales vont probablement commencer à augmenter les taux d’intérêt pour compenser ce changement, ce qui stabilisera les retours sur investissement pour les riches tout en érodant davantage les revenus disponibles des ménages endettés. N’oubliez pas qu’un tiers des ménages britanniques ont déjà du mal à payer leurs factures, et que plus de 4 millions d’entre eux ont été contraints d’emprunter simplement pour joindre les deux bouts.

Les socialistes devraient voir l’argument de la « spirale salaires-prix » pour ce qu’il est : une tentative de forcer les travailleurs à payer pour les problèmes causés par le capital. Après tout, l’économie mondiale ne se trouverait pas dans cette situation si les États et les entreprises avaient reconnu la menace que représente le dérèglement climatique et avaient fait pression pour une dé-carbonisation plus rapide, réduisant ainsi notre dépendance aux combustibles fossiles, il y a des années.

Au lieu de forcer les travailleurs à payer pour la pandémie, tout comme ils ont été forcés de payer pour l’imprudence du secteur financier après la crise de 2008, ceux qui ont le plus de moyens devraient payer l’addition.

Comme l’a noté Oxfam dans un rapport publié le mois dernier, les dix hommes les plus riches du monde ont doublé leur fortune pendant la pandémie, tandis que les revenus de 99 % de la population mondiale ont diminué. Pendant ce temps, les entreprises de combustibles fossiles qui ont provoqué cette crise en s’opposant à la décarbonisation ont empoché le pactole : BP, Chevron et Exxon Mobil ont vu leurs bénéfices atteindre des sommets inégalés depuis huit ans. Plutôt que d’investir dans la transition vers les énergies renouvelables, ils distribuent cet argent à de riches actionnaires.

La dernière fois que l’argument de la « spirale salaires-prix » a été mis en avant de la manière dont il l’est aujourd’hui, c’était dans les années 1970. À cette époque, de nombreux socialistes ont adhéré à cette interprétation des événements et, ce faisant, ils ont ouvert la voie à l’attaque généralisée du mouvement ouvrier qui a suivi. Nous ne pouvons pas laisser la même chose se reproduire aujourd’hui.

Source : Jacobin Mag, Grace Blakeley, 18-02-2022
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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